Chers lecteurs, chers amis,

La soudaine dissolution de notre Assemblée nationale a stoppé net tous les travaux en cours et, pour ce qui nous concerne au premier chef, les discussions sur le projet de loi «aide à mourir» (AAM). 

Les «progressistes», défenseurs du projet, grincent des dents, tandis que les «conservateurs», qui s’y opposaient, profitent d’une bouffée d’oxygène bienvenue. 

Au terme de joutes oratoires acharnées, la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi avait finalement adopté l’article 5 définissant l’AAM. 

Entre humanité compassionnelle (Laurence Maillart-Méhaignerie – Renaissance), rupture anthropologique consistant à confier au médecin le pouvoir de mort que l’on a retiré au juge (Patrick Hetzel – les Républicains), ou AAM vue comme œuvre de civilisation (Hadrien Clouet – La France Insoumise), les positions restaient inconciliables

Les discussions parlementaires poursuivies jusqu’au 7 juin ont pourtant réussi à sauvegarder «l’équilibre» du texte face à la déferlante d’amendements risquant de faire sauter tous les verrous éthiques (administration du poison par un proche, délit d’entrave à l’AAM, suppression de la notion de pronostic vital engagé, «moyen terme» devenant «phase avancée», inscription de la demande d’euthanasie dans les directives anticipées, accès de l’AAM aux mineurs…).

Le texte est aujourd’hui caduc. Le nouveau gouvernement pourra, s’il le souhaite, rebattre les cartes pour proposer un nouveau projet à la navette parlementaire

Prenons néanmoins la mesure de ce moment de folie parlementaire qui doit faire écho à cette alerte prémonitoire que Theo Boer adressait aux Français dans sa tribune du Monde datée du 1/12/2022 (1). Ce professeur néerlandais d’éthique médicale et ancien contrôleur des cas d’euthanasie les adjurait de ne pas ouvrir la boîte de Pandore, considérant que, quel que soit l’équilibre préalable d’un texte de loi, les dérives d’interprétation juridique soumises aux pressions sociétales vont immanquablement trahir les intentions initiales. Faisons alors le constat que «cette loi était à la dérive avant même d’avoir quitté le port» (2).

Pr Gilles Bernardin

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(1) Theo Boer. Fin de vie: «Ce qui est perçu comme une opportunité par certains devient une incitation au désespoir pour les autres», Le Monde, 1/12/2022

(2) Entretien avec Pierre Jova, par Guillaune Daudé: «Fin de vie: tous les garde-fous qui ont mis des années à sauter en Belgique ont déjà été levés en France», Le Figaro, 28/05/2024